Entretien à bâtons rompus entre Philippe Carron et Dame Langue française
LF : Langue française PC : Philippe Carron
LF : Dites-moi, cher Philippe, je suis percluse « d’anglicismes », vous savez, cher ami, de cet horrible « globish » qui se répand comme des métastases en pleine furie sur tout le corps… quelques paroles de réconfort me soulageraient vraiment. Que faites-vous depuis tout ce temps, je vous croyais aux avant-postes prêt à vous sacrifier pour moi ?
PC : Pardon, noble Dame, je ne ménage pas ma peine, je me bats comme un beau diable pour vous tirer de ce faux pas, mais votre situation empire au jour le jour et exige un engagement de tous les instants, aussi bien au Québec, en France, dans les instances de l’UE, que dans une Suisse romande où vous êtes complètement mise au ban de la société. J’en viens à croire qu’il faut avoir fait l’ENA, Sciences PO ou l’EPFL pour feindre de ne pas le voir…
LF : Mais, cher Philippe, ce ne sont pourtant pas les personnalités hautement qualifiées qui manquent dans vos associations francophones pour me tirer de ce caniveau où l’on m’a jetée comme une vulgaire pestiférée ! Partout dans la Francophonie, des voix s’élèvent pour fustiger le sort inique et injustifié qui est le mien ! Qu’ai-je donc fait au monde pour mériter pareil ostracisme alors que j’ai toujours œuvré pour un humanisme et une ouverture à l’autre en jetant des ponts entre les individus ?
PC : Hélas ! chère Langue française, toutes ces nobles âmes ne pourront guère inverser la tendance d’une courbe qui vous entraîne irrésistiblement vers les abîmes, vers les marigots pestilentiels où tout un peuple francophone européen jouissif (romand inclus) - jeunes, moins jeunes et vieux - est devenu si bien endoctriné par le prêt-à-penser idéologique anglo-américain qu’il en redemande de ces coups de « baston » pour s’autoflageller afin de mieux se couler dans son glacial moule hégémonique.
LF : Vous savez, mon cher Philippe, j’entends dire autour de moi que je suis une vieille intransigeante, une puriste comme on n’en fait plus, une râleuse qui ne supporte pas le moindre « globish » dans son escarcelle alors que je croyais être cette vénérable Dame qui accueillait avec douceur tant de néologismes, que je les faisais miens en les usinant à merveille pour les mettre au service des aspirations les plus nobles et les plus légitimes.
PC : N’ayez crainte, belle Dame, à ce sujet, je viens de répondre à vos détracteurs leur disant qu’il me paraît insensé, voire injustifié, de prétendre jeter à la mer ou franciser tous les anglicismes, tous ces mots qui vous enrichissent ou relèvent d’un grain de piment par leur singularité idiomatique. Il s’agit là en effet de mots qui évoquent des faits culturels appartenant à la sphère anglo-saxonne. Ceci est aussi valable pour les apports d’ordre civilisationnel en provenance d’autres origines culturelles. Vous abondez dans mon sens, non ?
LF : Bien sûr que oui, cher Philippe, mais … j’en perds un peu mon latin – passez-moi l’expression – dans ce fouillis « anglobal » inextricable qui ne me permet plus de m’exprimer librement comme je le faisais pas plus tard qu’au siècle dernier.
PC : Hélas, oui, chère Langue française ! Ce qui arrache des pans entiers de votre prestigieux et inégalable patrimoine, ce sont ces tonnes « d’anglaiseries » indigestes et archi-cuites qui dénaturent votre articulation toute en finesse, en subtilités et en nuances… et qui envahissent tout le spectre sociétal romand dans une abyssale indifférence. Pourtant, en plus d’un répertoire lexical à couper le souffle, vous possédez un agencement vocalo-consonnantique si bien équilibré qu’il détonne dans tout le paysage linguistique mondial… et ce ne sont pas les non-francophones de par le monde qui me diront le contraire, vous le savez bien, non ?
LF : Certes, mon ami, à ce sujet, je reçois chaque jour des tonnes de courriels des quatre coins du globe… et qui me portent aux nues, cependant je ne suis pas dupe car je vois en ce moment à quel point il m’est difficile de déambuler par chez moi dans un accoutrement si « anglobalisé » qu’il me fait marquer le pas, me minant de surcroît et le corps et l’esprit… Cher Philippe, j’ai l’impression d’avoir cent mille ans. Même les plus récalcitrants à tout endoctrinement m’ont lâchée, vous savez, le dernier carré qui m’était resté fidèle, et c’est tout dire, n’est-ce pas ?
PC : C’est cela, ma chère amie. De plus, paradoxalement, cette même population romande, dorénavant décomplexée du « syndrome » du colonisé, clame dans tout le landerneau romand, et même dans toute la Confédération - avec cette fierté chevillée au corps qui la rend d’autant plus niaise et ridicule -, son appartenance à une nation helvétique qui a renié depuis belle lurette ses idéaux d’unité et de cohésion sociale, une foule empreinte de cette « américanité heureuse » et ce fol enthousiasme qui la font ramper sous les ordres du nouveau maître de céans lequel l’assigne pourtant à un nouvel esclavage que l’on croyait bien appartenir à des temps révolus. Vous vlà guère rassurée !
LF : Oh ! par bonheur, il y a comme vous des êtres charitables qui ne me laisseront jamais tomber, alors que mes locuteurs ne pensent qu’à m’envoyer six pieds sous terre, à l’image de ce président français qui me voue aux pires gémonies où qu’il se trouve ! Les ai-je seulement tous abandonnés une seule fois ? C’est comme un suicide culturel collectif qui s’empare en ce moment de toute la Francophonie d’Europe, non ?
PC : Noble Langue française, il y aurait long à dire sur le comportement suicidaire non seulement des Romands, mais aussi des Wallons et des Français, alors que les Québécois luttent avec la rage du désespoir pour leur survie contre une américanisation qui lamine jusqu’au tréfond l’identité de nos cousins d’outre-Atlantique.
LF : Très… très cher ami. Que me contez-vous là de nos cousins ?
PC : Vous savez, chère Langue française, le pire au Québec, c’est que l’insignifiante minorité anglo-saxonne de la Belle Province sait si habilement tirer les ficelles de la victimisation quand quelqu’un se risque à fustiger ses desseins de prédation ; elle sait à merveille s’appuyer alors sur une presse anglo-saxonne dont le seul but est l’éradication de tout ce qui touche à votre identité et à « l’aura » planétaire que vous avez su diffuser partout par votre seul génie. Le dernier exemple en date d’Air Canada en est une preuve flagrante. Vous vous en souvenez ?
DF : Oh, oui ! Air Canada, bien sûr ! Pourvu qu’ils limogent enfin cet indélicat personnage à la tête d’une compagnie hors la loi ! Mon Dieu ! Et cette homonymie avec notre grand écrivain genevois, j’en suis encore écœurée !
PC : Avant de remonter au front, me permettriez-vous de transmettre une nouvelle fois votre indignation et votre indicible détresse à tous les politiques romands, depuis le simple maire de commune en passant par nos députés et nos ministres cantonaux, jusqu’à nos représentants parlementaires à Berne ?
DF ; Oui, cher Philippe, je leur demande instamment d’assumer pleinement leurs obligations et d’appliquer à la lettre les dispositions constitutionnelles qui sont censées me protéger, ainsi que mes consœurs alémanique et tessinoise. Rappelez-leur avec force que l’anglo-américain est une langue étrangère dans ce pays, au même titre que le tamoul ou le turc… et qu’elle doit le rester.
PC : Merci, noble Dame et amie, je vais le leur transmettre, soyez rassurée.
Philippe Carron Prilly/Lausanne novembre 2021
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