La langue française en Suisse romande, de son origine à nos jours
La Suisse romande est un pays à ascendance latine, romanisé au 2e siècle déjà et sa tradition linguistique a toujours été latine. Elle prolonge de façon naturelle l’espace géographique hexagonal, formant avec la Franche-Comté et une large partie de Rhône-Alpes ce qu’on appelle l’aire franco-provençale ou arpitane, cette langue gallo-romane qui formait alors un vaste espace géographique et qui chevauchait nos deux pays. La Suisse romande a adopté dès la première heure la « langue du roi », ce qui est remarquable pour ce petit pays qu’on dit perdu au fin fond de ses vallées et qui « trait ses vaches » (Victor Hugo dixit) ; pourtant, jusqu’à la Révolution, les parlers franco-provençaux et jurassiens ont été le véhicule de la communication orale et quotidienne en Suisse romande, au même titre que les parlers locaux dans l’Hexagone, d’où parfaite similitude de développement de part et d’autre.
Après bien des péripéties et après que le patois a été, pendant longtemps, interdit et à l’école et à la maison, le français, en Romandie, a conservé un certain nombre d’usages anciens, devenus des archaïsmes – mais courants - dans le parler contemporain : adieu, septante, huitante, dîner, souper, etc., à quoi s’ajoute l’archaïsme de certaines prononciations. Il a d’autre part été influencé par le substrat patois qui s’y est infiltré à la faveur de francisations superficielles, telles les : panosse, cheni, pétouiller, ramassoire, carnotset, etc., et par le substrat alémanique, particulièrement actif dans le langage administratif, politique et militaire, ce sous forme de parfaits calques. Cependant, ces derniers appartiennent désormais à la lexicographie française, se fondant dans le paysage linguistique et l’articulation francophones au point où l’on ne décèle plus rien de germanique derrière ces vocables.
Pour les germanismes insidieux d’origine française, qui nous reviennent en ricochet de Suisse alémanique, mais qui y ont pris un autre sens, il s’agit de redoutables vocables-pièges et pour le traducteur et pour le simple lecteur, des mots tels : motion, initiative, initiant, référendaire, gymnase, jubilé - la liste est longue -, pour lesquels il convient d’être très vigilant. Les autres germanismes, tels les poutser, foehn, etc., ne forment, somme toute, qu’une quantité négligeable.
Il est évident qu’au fil des années les Romands ont prouvé, de façon énergique, leur refus de se laisser enfermer dans une langue française qui serait inintelligible au-delà des frontières, contrairement aux Alémaniques qui ont gardé jalousement des dialectes qui remontent à la nuit des temps, parlers incompréhensibles pour les voisins allemands. D’ailleurs, dès le Moyen-Âge déjà, le désir de dépasser ces limites morphologiques et l’aspiration à une plus vaste communication ont été passionnément à l’œuvre chez les francophones de Suisse romande.
Cela dit, reste à voir, en ce début du 21ème siècle, si l’américanisation outrancière en cours finira en « diglossie », l’anglo-américain l'emportant sur un « vernaculaire » créolisé et méconnaissable, laissant ce dernier pour le seul usage des potins du Café du Commerce ou si les Romands redresseront la tête à l’image des Jurassiens (canton du Jura) qui, dans les années 1970, dans un élan communautaire total, s’étaient défaits de l’Ours bernois germanophone. Rien n’est moins sûr.
Philippe Carron