LETTRE À ROMANDIE
Chère Romandie, on cherche assurément, sur ton espace de vie entre Jura et Sarine, à abattre et à faire taire ta langue, une langue française plus que millénaire pour laquelle, hier encore, Alémaniques, Tessinois et Romanches avaient les yeux de Chimène, bon nombre de preneurs de décision de ton cru, à l’instar de petits « collaborateurs » zélés, s’étant alliés au prédateur anglo-américain pour l’aider à mener à bien sa sale besogne d’éradication langagière, reniant avec une délectation sans borne les idéaux de noblesse et de dignité qui formaient le socle de ta raison d’être.
Il n’est qu’à voir avec quel acharnement bon nombre de tes enfants méprisent et piétinent les dispositions d’une Constitution helvétique qui étaient pourtant destinées à protéger ton idiome – de même que les autres langues nationales - idiome que tu as su, à travers les siècles, porter vers des hauteurs artistiques jamais égalées ; comment beaucoup en arrivent à cracher sur ce parler qui les a façonnés en prêtant bassement allégeance aux « barons » de l’Empire anglo-saxon dont les desseins d’hégémonie planétaire apparaissaient déjà nettement dans le sinistre discours de Churchill, à Harvard, en 1943.
Il n’est qu’à déambuler à travers tout ton environnement pour constater à quel point le délire anglomaniaque sévit, se pincer, incrédules, et recevoir en plein visage l’image de ton peuple à genoux linguistiquement, un peuple dont le parler s’essouffle à devoir ingérer jusqu’à l’excès des tonnes de « monstres lexicaux » qui lui arrachent des pans entiers de son immense champ lexical… de cette langue française qui se prête pourtant à merveille pour satisfaire aux exigences des applications les plus pointues, à l’instar de ce que font avec bonheur les Québécois.
En ces temps d’une numérisation qui étouffe et broie la liberté de penser de chacun, ta population est dupe d’une gigantesque escroquerie linguistique qui la fait « éructer » à longueur de journée toute une imbuvable litanie d’un « globish » aussi imprononçable qu’impropre à l’articulation française… « pidgin » surréaliste qui fait sombrer une apathique et servile masse moutonnière dans l’abrutissement le plus confondant…
et personne pour crier à la supercherie, personne !!!
Oh Romandie ! Il est clair que tes dirigeants politiques successifs auraient pu, en ce début de siècle encore, avec un peu de clairvoyance, de courage et d’abnégation, s’élever contre cette inacceptable substitution linguistique en jetant un NON clair et net à ceux qui voulaient et veulent la peau de ce vecteur qui t’anime et qui a fait ce que tu es… et refuser de se mettre à plat ventre et de ramper si servilement.
Chère Romandie, il me prend toutefois de rêver que les générations montantes viendront te témoigner un zeste de reconnaissance pour ce vent de fraîcheur et d’innovation que tu avais su, grâce au génie d’une langue sans égale, apporter à l’Helvétie toute entière.
Philippe Carron